Effroyable roman - Une chanson douce - Leïla SLIMANI
Chanson douce
Leila SLIMANI
Editeur : Gallimard –Août 2016 –
Une chanson douce, c’est tout le contraire de cette histoire sordide, terrible et atroce dans laquelle Leila Slimani entraîne un lecteur happé dès les tous premiers mots, qui tombent comme un couperet.
Un bébé mort, une enfant agonisante, le cri d’une mère, et une nourrice qui tente de mettre fin à ses jours… Et pan, KO dès la première page !
Puis, et c’est là tout le talent de l’auteure, le temps rebrousse chemin … Flashback et zoom sur cette famille aux apparences tranquilles. Elle, Myriam Massé, maman épuisée par une vie trop étriquée qui ne lui correspond plus. Lui, Paul Massé, producteur de musique , genre jeune cadre dynamique , Rolex au poignet . Deux enfants : Mila et Adam, le bébé.
Il ne manque plus à cette image d’Epinal que la nounou parfaite, la perle des perles, qui prend forme sous les traits de Louise, seule survivante à un impitoyable casting.
Louise est impeccable, un peu trop peut-être avec son teint diaphane, son odeur de talc, ses souliers vernis et ce dévouement qui frise l’aliénation.
Mais voilà, la réalité va s’éloigner peu à peu de ce tableau idyllique. D’aliénation, il en sera d’ailleurs question, mais ça, seul le lecteur le sait.
Page après page, le malaise s’installe. Un malaise profond, pernicieux, latent. Le drame couve, seul le lecteur en a connaissance.
Louise, cette chère Louise, absolument indispensable, qui « fait partie de la famille », mais qui , concrètement, demeure une étrangère, s’immisce peu à peu dans le quotidien des Massé, faisant le ménage, la cuisine, se dévouant corps et âme, sans grand retour , il faut l’avouer.
«Elle est Vishnou, divinité nourricière, jalouse et protectrice. Elle est la louve à la mamelle de qui ils viennent boire, la source infaillible de leur bonheur familial. »
La descente aux abîmes, dans les méandres de la folie, se dessine tout doucement, peu à peu. Les parents, pris par leurs vies professionnelles intenses et intensives , ne veulent pas voir.
Le compte à rebours a commencé.
Hors du regard des parents, le lecteur assiste à cette plongée abyssale vers le néant , vers une folie dont lui seul connaît l’aboutissement.
« Une haine monte en elle. Une haine qui vient contrarier ses élans serviles et son optimisme enfantin. Une haine qui brouille tout. Elle est absorbée dans un rêve triste et confus. Hantée par l'impression d'avoir trop vu, trop entendu de l'intimité des autres, une intimité à laquelle elle n'a jamais droit ».
Un roman prenant, terrifiant (vous ne verrez plus les nourrices de la même façon)et haletant, qui m’a mise profondément mal à l’aise, ce qui, je présume, est le but premier de cette histoire magnifiquement mise en scène par Leïla Slimani. Les temps employés pour la narration contribuent à rendre ce suspense aussi époustouflant qu’intenable. Les dernières lignes ferment la parenthèse ouverte par les toutes premières, et entre les deux, c’est juste… (à vous de mettre les mots qui vous sembleront justes)
Je me suis demandée si cette Chanson douce, en définitive, n’était pas celle susurrée à l’oreille d’une société parfaitement huilée (métro, boulot, dodo et nounou) et « bien sous tous rapports » , de la banalisation d’un quotidien érodé, de la prépondérance des apparences sociales (« ma nounou est une perle, je peux aller travailler nuit et jour les yeux fermés »), et aussi celle qui ferait oublier l’affreuse solitude dans laquelle sont plongés les oubliés sociaux.
Un bémol toutefois : j’ai trouvé le personnage de Louise un peu trop caricatural, un peu « too much » selon moi. Un peu facile en somme. Certes, elle est folle, complètement folle… Certes elle porte bien les cols Claudine , et tout ça… Mais voilà, il m’a manqué un « quelque chose » , des aspérités que je ne saurais décrire. Même sensation pour le personnage du père, Paul, qui m’a paru s’étioler au fil des pages..
Un coup de cœur quand même, mais modéré, et la découverte d’une auteure qui m’était inconnue et dont je vais m’empresser de découvrir le tout premier roman.
« Le destin est vicieux comme un reptile, il s’arrange toujours pour nous pousser du mauvais côté de la rampe. »
© Nath