De briques et de broc - Atelier Bric A Book 239 -
© Julien Ribot
Elle en avait entendu bien des secrets, depuis des années et des années qu’elle était là , fière, droite et silencieuse. Elle en avait apaisé, des chagrins et essuyé bien des larmes, recueilli bien des confidences, au fil du temps qui passe, passe, passe , inlassablement, inexorablement.
Quelques rides, vestiges d’un hier encore flamboyant, fissurent deci delà les pierres de sa façade . Elle se tait. Elle n’a plus rien à dire . Elle garde ses confidences chuchotées, ses joies , ses peines. Elle est la mémoire de générations qu’elle a bercées, d’enfants qu’elle a vu naître, grandir, puis partir. Elle sourit encore parfois, d’un sourire qui fait mal quand on sait le regarder dans les yeux.
Elle sait qu’elle va mourir. Elle a entendu la clé tourner une dernière fois dans la serrure, les volets grincer en emportant la douce lumière qui baignait le grand salon, à droite de la porte qui, quand elle était vivante, vraiment vivante, était toujours ouverte . Elle a vu des perles de pluie couler sur les joues de ceux qu’elle enserrait tendrement il y a peu encore. Un grand camion a tout emporté, tout, absolument tout. Il ne reste rien que le vide béant et le silence. Il ne reste que les rires qui défilent dans sa mémoire, la musique des jours d’avant, l’odeur presque palpable du bonheur .
Elle a voulu hurler sa peine, ce mal qui déchirait ses entrailles, cette souffrance, celle d'une fin annoncée, sa peur, ce froid qui soudain l’a enveloppée, cette nuit qui a fermé ses yeux, amputé ses bras protecteurs. Elle est restée muette. Une maison, ça ne parle pas, enfin « ils » ne savent pas tous l’entendre. Juste quelques-uns. Pas beaucoup.
Elle a surpris, il y a quelque temps, cette conversation, ces mots lapidaires, ces mots assassins
Elle deviendra un parking, désert glacial sans âme. Sans cette âme qui fut la sienne et qui, dans quelques heures, va définitivement s'éteindre, sous les coups anonymes , sous les griffes acérées d’un buldozer.
© Nath