Un roman solaire et bouleversant - Une bouche sans personne - Gilles MARCHAND

Une bouche sans personne

Gilles MARCHAND

Editeur : Aux forges de Vulcain – Août 2016 –

« De ma lèvre inférieure jusqu’au tréfonds de ma chemise, il y a cette empreinte de l’histoire, cette marque indélébile que je m’efforce de recouvrir de mon écharpe afin d’en épargner la vue à ceux qui croisent ma route. Quant au poème, il me hante comme une musique entêtante, ses mots rampent dans mon crâne d’où ils voudraient sortir pour dire leur douleur au monde. Poème et cicatrice font partie de moi au même titre que mes jambes, mes bras ou mes omoplates. Je ne me sens pas tenu de les examiner pour savoir qu’ils existent. J’ai seulement appris à essayer de les oublier. »

L’histoire s’ouvre sur un chapitre 0, et  6 mots, qui d’emblée vous cueillent l’âme : « J’ai un poème et une cicatrice ».

Le narrateur, dont on sait bien peu de choses, en dehors du fait qu’il est comptable, et seul, très seul, porte en permanence une écharpe autour du bas du visage, protégeant ainsi ce que nous pensons être cette « cicatrice ».

D’habitudes en habitudes,  de chiffres alignés en alignement de chiffres,  des rituels bien agencés jalonnent ses journées : la visite à la boulangère, la dame qui promène son chien et puis…  son port d’attache,  celui où , depuis plusieurs années, il retrouve un petit groupe de quelques amis- habitués, fans des Beatles comme lui, avec lesquels il partage quelques instants de non –monotonie, des instants lumineux dans une vie parfaitement rodée. 

 Il y a Thomas, Sam, et puis la belle Lisa, dont il est platoniquement  amoureux… Il y a les fantômes du passé, des passés… Il y a ces enfants jamais nés dont l’un d’eux ne parvient pas  à faire le deuil, il y a des lettres écrites par des parents décédés, il y a des mots, et il y a des silences.

Le silence, justement.

Celui qu’il choisit de rompre un soir.

Peu à peu, il va dévoiler son histoire, intimement liée à l’Histoire, mais cela n’est révélé que dans les dernières pages, immenses , totalement bouleversantes, absolument poignantes.

Devant un auditoire captivé qui grandit de jour en jour, il ne compte plus, il conte.

«À travers eux, mon histoire devient une histoire. C’est peut-être ce dont j’avais besoin pour avancer. Je ne suis plus qu’une bouche, une espèce de lien avec un autre temps qui se dépossède de ce qu’il a sur le cœur. Mon histoire leur appartient et se mêle à leurs propres souvenirs ».

Du chapitre 0 initial au chapitre 0 final, de la cicatrice au poème, la plume magistrale de Gilles Marchand, envoûte le lecteur, l’emporte dans un univers onirique suppléant une réalité insupportable, celle qui laisse des cicatrices … et parfois des poèmes.

« Voilà pour mon armoire à souvenirs. J’ai pris soin de la cadenasser solidement et, la plupart du temps, cela marche. C’est la seule solution pour rester, à ma manière, assez heureux. Mais les cadenas sont fragiles et il est impossible d’oublier une cicatrice lorsque celle-ci fait office de masque que l’on ne peut retirer. »

Cette Bouche-là est bouleversante, renversante, transcendante et solaire.  Elle déborde d’Amour, de Tendresse, et d’Humanité.   Elle respire l’Amitié, la Magie, l’Espoir, la Poésie.

J’ai été merveilleusement subjuguée par cet univers incroyable où se côtoient une mouche qui danse, un éléphant qui se dégonfle, un orchestre tzigane, un improbable tunnel, un monde fantasmagorique, mais dans le fond, tout à fait « normal ».

Les larmes ne sont jamais bien loin, elles accompagnent les sourires et se font sœurs des émotions épidermiques auxquelles il est impossible d’échapper, tant cette pépite de la rentrée littéraire 2016 vous saisit aux tripes.

Un premier roman de magique de Gilles Marchand,  un de ceux qui laissent des marques au fond de l’âme,  des marques indélébiles au fond du cœur.

Je remercie  la maison d’édition Aux Forges de Vulcain pour cette sublime découverte,  coup de cœur indéniable de cette rentrée littéraire 2016. 

Merci à l’auteur pour ce moment inoubliable, cette lecture qui l’est tout autant, et cette belle rencontre au salon du livre de Boulogne-Billancourt, alors même que je n’en étais qu’à la page 48 …

Comments

[Nath-A-Lie]

Une très belle découverte, un pur joyau de sensibilité et de Lumière ?

[L'ivresse littér]

Très belle chronique pour un superbe roman. En effet, comme tu le dis si bien, un roman qui marque profondément l'esprit et le cœur.