Le poète de la semaine - Christian BOBIN -
"Il y a entre toi et moi une adorable barrière. C’est ta mort qui l’a construite. Son bois est du silence. Il n’est pas épais. Un rouge-gorge s’y pose.
Quand tu étais de ce Monde, j’adorais traverser avec toi la campagne au vert surnaturel, ses accents de prairie, ses chorales de sous-bois et ses poèmes de barrières.
Je cherche ton visage tel que l’étonnement l’ouvrait alors au ciel. Je le cherche pour le soulever aux nues du papier blanc, même après quelques années dans ton joli cimetière de campagne, ton visage revenant sous le pinceau d’un songe a le vif d’une rose de jardin. Oui, je crois que ce que j’ai aimé le plus, c’était marcher dans les bois avec toi.
Aux modernes qui ne savent que compter , j’oppose la lente et christique passion des nuages, les heures au chevet d’une phrase, et ton visage quand la crédulité le visitait. Tous nous adorons ce genre de livres, un visage qui nous fait face, émerveillé pour une seconde qui n’appartient pas au temps, mais aux anges moissonneurs. C’est peut-être pour ça que les gens font des enfants, pour être quelques années durant des livres vivants, enluminés de fantaisie divine.
La barrière qui me sépare de toi est pauvre, ses piquets suivent les mouvements de ma pensée, ils ondulent.
Tu es de l’autre côté de la vie, pas si loin somme toute. Bien moins loin de moi que ce médecin que j’ai vu feuilleter des visages toute la journée, sans en regarder un seul. Les somnambules ont envahi le Monde. L’argent n’aime pas les barrières de campagne, ces murailles qui laissent passer l’air et les rires innocents.
Qu’est-ce que la vie, mignonne ? A coup sûr, je n’ai pas la réponse, mais il me semble que le plus précieux n’est pas sans rapport avec le geste de s’appuyer à une barrière de bois décolorée, et respirer tout l’azur avant de reprendre ce chemin qu’on ne trouve sur aucune carte.
J’attrape le langage comme un tout-petit attrape un couteau par la lame, ébloui par l’éclat de l’acier. J’essaye de faire un stradivarius d’encre, comme les violons que ces enfants fabriquent avec du carton et des élastiques, pour les cordes.
Un ange dans la campagne souffle sur un feu de lumières.
De loin, on dirait un tremble."
Christian Bobin
(Les ruines du ciel – Editions Gallimard – Octobre 2009)