Un pan d'histoire - Un déjeuner à Madrid - Claude SERILLON
Un déjeuner à Madrid
Claude SERILLON
Editions du Cherche –Midi – Mai 2018
Le 8 juin 1970, à Madrid, deux figures déclinantes, et toutefois emblématiques du monde politique européen, se rencontrent : le général Charles de Gaulle et le général Francisco Franco Brahamonde. Deux personnalités en apparence totalement incompatibles, deux itinéraires à priori distincts, et pourtant…
Pourtant, à l’occasion d’un voyage « privé » , de Gaulle et Madame se retrouvent à la table du Caudillo et de son épouse.
Ce qui subsiste de cet entretien informel ? Bien peu de choses ! Autant rester discrets ! Le témoignage du traducteur présent en partie a servi de base au roman. Le reste, Claude Sérillon , journaliste, romancier, et homme engagé au service de la liberté d’expression, l’a imaginé, se basant sur des recherches pointues, nous permettant ainsi de partager cet étrange moment.
Si l’on se replonge dans le contexte de l’époque (post mai 1968), c’est un Franco vieillissant, et dont le pays attend la mort qui va faire face à un de Gaulle dessaisi du pouvoir quelques mois plus tôt par voie de référendum. Ce sont également deux nations, l’une tournée vers un avenir chargé d’espoir, l’autre plombé par des années et des années de dictature qui vont partager un saumon qu’Yvonne de Gaulle qualifiera d’exquis.
Les dialogues mis en scène par Claude Sérillon sont un régal. On imagine aisément ces deux hommes échanger en toute courtoisie (oui, oui !!) et peut –être (mais c’est là mon avis personnel) en toute mégalomanie. C’est sans doute cela le plus édifiant, je pense.
Par exemple :
De Gaulle à Franco : « Avez-vous compris que nous sommes des moments d’histoire ? »
Franco à de Gaulle : « C’est notre destin, général, nous sommes sur Terre pour conduire le cours des choses ».
L’auteur dissémine ça et là quelques détails légers, voire drôles, comme le détail du menu de ce repas plutôt austère, à l’image du Palais du Pardo.
Enfin, « au bout du compte », on prend connaissance de l’édifiante lettre envoyée après ce séjour , ultime baroud d’honneur à un pays qui l’avait blessé dans son amour-propre, par de Gaulle au Caudillo. Une lettre aussi incroyable que véridique… Une lettre d’absolution de toutes les horreurs commises , de la terreur écrasante du régime franquiste.
« Glaçant » écrira Mauriac
« J’aurais quitté le gouvernement si de Gaulle avait fait cette visite en tant que chef d’Etat. » (André Malraux).
J’aime l’Espagne. Je l’aime profondément. J’ai connu ce pays dans ses dernières années de dictature, et le franquisme est intimement lié à mon histoire personnelle. Apprendre ce pan inconnu de l’histoire ibérique , dans un roman, a été suivi de bien des questions. Et ce fut avec un grand plaisir que j’ai eu la chance d’entendre les réponses de la bouche même de l’auteur, lors d’une rencontre organisée par l’agence Anne et Arnaud, que je remercie vivement !
© Nath