"Seize ans à s'agiter dans le monde, effleurer le vide, éclore sans apprendre" - L'été circulaire - Marion BRUNET
L'été circulaire
Marion BRUNET
Le Livre de Poche – avril 2019
J'ai découvert récemment l'écriture hypnotique de Marion Brunet, cette façon bien à elle de dire, de dénoncer, de raconter ces « petites gens », ce « petit quotidien », ces grandes injustices, ces coups de pieds dans une fourmilière sociétale dont on parle en général si peu.
L'été circulaire, c'est celui qui fait basculer la vie d'une famille provinciale, milieu modeste, maison modeste au cœur d'un lotissement social modeste, pas bien loin des villas luxueuses des nantis, ceux qui n'y viennent qu'une fois par an. Il y a le père, Manuel, la mère, Séverine, et les deux filles, la si belle Céline au charme ravageur, et Jo, aux yeux vairon, moins jolie, plus volontaire peut-être, adolescentes rêvant de s'extirper de ce destin tout tracé, de cette inéluctable condition sociale dont il est si difficile de s'affranchir.
Cet été-là, il y a , comme toujours, la sempiternelle fête foraine, avec toujours les mêmes attractions … Mais cet été-là , le moment de liesse estivale aura un sale goût... En effet, Céline, seize ans, est enceinte et refuse, malgré les baffes balancées par les grandes mains paternelles, d'avouer le nom du géniteur. Ce sera le point de départ du drame.
Dès lors, l'autrice dresse un tableau sociétal de tout ce petit monde , dans lequel finalement on fait semblant. Tout y est, la mesquinerie, la violence, le racisme, les inégalités sociales, la noirceur de l'âme humaine et cette espèce de malédiction qui se répète, comme une boucle, comme une fatalité.
« Les gens aiment pas qu'on sorte des cases, ça leur rappelle qu'ils sont dedans »
J'ai beaucoup aimé cette lecture , pourtant sombre, mais tellement addictive ! Je reconnais ma petite préférence pour le personnage de Johanna, « Jo ressemble à une tige. Elle a gardé le doré de l'été et sa peau rayonne malgré le gris-vert qui assombrit la vallée, teinte le ciel. A grands pas sur ses grandes jambes, au travers des taillis, elle coupe les sentiers en animal. La terre sent si fort qu'elle en ressent une gêne délicieuse - comme si elle foulait un corps. Elle aimerait bien enlever ses chaussures, talon-plante-orteils dans la mousse, la boue, la courbe chahutée des roches blanches. Elle aimerait bien mais elle n'ose pas encore. Ça va venir ».
J'ai adoré, je le reconnais, le ton de Marion Brunet, cette plume fascinante qui fait de ce roman franchement noir un véritable page turner. Et puis, je l'avoue, j'apprécie fortement de voir les inégalités sociales dénoncées, parce que je ne les aime pas du tout, du tout !
La chute est absolument phénoménale, et je vous recommande cette lecture pour un été que je vous souhaite radieux.
© Nath
L'été circulaire a reçu plusieurs prix littéraires, fort mérités !