Le lundi, c'est poésie / littérature - Alexandre Jollien
Un jour, sérieux comme un pape, j'ai convoqué mes enfants. Nous avons choisi trois livres dans lesquels nous avons glissé un billet de dix francs, et je leur ai dit : "Le premier clochard que l'on rencontrera, on lui donnera un livre."
Nous avons donc cheminé et nous avons bientôt trouvé un homme assis par terre. Victorine et Augustin ont très solennellement et très simplement déposé un des livres devant lui.
Et nous avons continué notre chemin. Nous avons ensuite croisé un artiste de rue qui, immobile, faisait le robot, et chaque fois que l'on jetait une pièce dans son panier, bougeait un orteil ou un bras. Ma fille a mis à ses pieds un autre livre. L'ironie du sort a voulu qu'il traite de la manière de rester zen en toute occasion. J'ai ressenti une joie soudaine. La joie que je croyais d'habitude éprouver en achetant un nouveau bouquin ou un nouvel habit. Elle rayonnait en moi par le simple fait que je m'étais ouvert à l'autre.
Au terme de la promenade, nous sommes revenus sur nos pas et nous avons revu le clochard qui était en train de lire "De la brièveté de l'existence". J'en ai eu les larmes aux yeux....
Se dépouiller, ce n'est pas s'arracher quelque chose, ce n'est pas aller vers le manque ou la privation, mais au contraire s'ouvrir à ce que l'on est vraiment.
Alexandre Jollien (Petit traité de l'abandon)