Nos corps étrangers - Carine Joaquim
Nos corps étrangers
Carine Joaquim
Editions : La Manufacture de Livres - Janvier 2021
Lorsque Stéphane, Elisabeth et Maëva, leur fille adolescente, quittent Paris pour la grande couronne, et une vie plus proche de la nature, ils pensent prendre un nouveau départ. En effet, le couple se délite, et ce grand changement permettra peut-être de recoller les morceaux de corps perdus, froissés, oubliés. Le corps (et ses manifestations physiques, ses sensations) est en effet au centre de ce roman.. Corps gommé, anesthésié (r)éveillé.
La réalité va se révéler tout autre. Chacun va laisser éclater sa véritable personnalité, tant à l'entourage qu'à lui-même. Et ce ne sera pas toujours reluisant, croyez-moi !
De page en page, Carine Joaquim dresse une fresque sociale, celle de gens comme les autres, abordant sous le vernis du sujet principal, des thèmes d'actualité comme l'anorexie, le handicap, le sort des mineurs isolés, l'ambivalence de l'âme humaine, l'adolescence et ses premiers émois, le silence , les non-dits, tout ce que l'on enfouit sous le tapis, avec la poussière. C'est ainsi que nous voguons jusqu'au final, aussi abrupt qu'inattendu, absolument effroyable !
Le roman est somptueusement servi par l'écriture de l'autrice, sa plume ciselée, trempée dans une noirceur addictive. Il faut croire qu'enfer et paradis ne sont pas bien loin de l'autre, que nous sommes le fruit de nos souffrances, celles-ci pouvant engendrer de dramatiques rancoeurs, sangsues accrochées au corps et s'en nourrissant. Dès lors, la frontière entre le laid et le beau, entre le dicible et son antonyme est irrémédiablement franchie.
J'ai beaucoup, mais vraiment beaucoup, beaucoup aimé cette histoire, dévorée d'une traîte, et qui me laisse ce rare sentiment de grosse claque, d'uppercut. J'avoue que j'aime être déstabilisée , et là, j'ai atteint une sorte d'acmé, je vous le concède , pour mon plus grand plaisir de lectrice.
Nos corps étrangers : une pépite supplémentaire à rajouter à celles déjà publiées par la Manufacture de livres (que je remercie vivement) et qui n'a pas été sans me rappeler le génialissime "Ce qu'il faut de nuit" de Laurent Petitmangin.
Big , big coup de coeur donc !!
"Stéphane l'avait amenée ici pour la première fois à la fin de l'hiver. Elle avait observé l'environnement très industriel, le long de la voie rapide, incapable de se projeter,puis ils avaient pris la sortie et tout était devenu plus vert : des petits hameaux, de jolis sentiers, des maisons de village et de vieilles églises partout et même des champs....Elle avait souri, ici c'était la province à moins de quarante kilomètres de Paris, la promesse d'une vie calme dans une maison gigantesque.."
"Je serai là demain tu sais, finit par dire Maëva"
© Nath