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Il n'y a pas de Ajar

Monologue contre l'identité 
Delphine Horvilleur
Editions Grasset - Septembre 2022
Rentrée littéraire

Essai

Grande admiratrice de Romain Gary / Emile Ajar et de Delphine Horvilleur, ce court essai s'imposait à moi comme une évidence.

Le livre est bâti sur une filiation fictive, celle qui a donné naissance à Abraham Ajar, fils du susnommé Emile, qui lui même n'existait que sous la forme d'un double. Son père fictionnel ne s'est pas donné la mort en même temps que son "original" , car "un faux, c'est insuicidable".

Notre Abraham, qui mène ce monologue, vit donc tapi dans une cave et va déclamer ce texte, destiné à être dit sur scène,et dont nous voici spectateurs.

Le ton est volontairement drôle, caustique à souhait et aborde des sujets qui nous concernent tous, ce qui pose effectivement le thème très actuel de l'identité.

" A travers Ajar, Gary a réussi à dire qu'il existe ,pour chaque être, un au-delà de soi; une possibilité de refuser cette chose à laquelle on donne aujourd'hui un nom vraiment dégoûtant : l'identité".

Il faut savoir gratter pour tenter de trouver ce "besoin effrayant de fraternité " que cherchait Gary/Ajar, le vrai.
L'autrice évoque avec brio et finesse l'existence et son antonyme l'inexistence "ce diplôme qui te permet d'être sûr de ne jamais être tout à fait toi". A travers le personnage fictif d'Abraham, elle parle racisme, religion, appartenance à des classes sociales définies. Elle passe au crible bon nombre de thématiques qui sont susceptibles de diviser, au nom de l'identité que nous portons au nom d'une hérédité.

J'ai beaucoup aimé cette courte lecture, l'écriture de Delphine Horvilleur (admiration) , qui est également une ode à la littérature, aux legs invisibles..

"Nous sommes pour toujours les enfants de nos parents, des mondes qu'ils ont construit et les univers détruits qu'ils ont pleurés, des deuils qu'ils ont eu à faire et des espoirs qu'ils ont placé dans les noms qu'ils nous ont donnés.
Mais nous sommes aussi, et pour toujours, les enfants des livres que nous avons lu, les fils et les filles des textes qui nous ont construits, de leurs mots et de leurs silences".

J'ai appris beaucoup de choses que j'ignorais, par exemple qu'en hébreu le verbe "être"n'existe pas au présent. On peut le conjuguer aux autres temps "tu as été et tu deviendras mais tu es forcément en plein dans ta mutation".

J'ignorais également qu'Ah'ar, l'Autre en hébreu, (comment ne pas y voir un lien avec Ajar) était le plus grand pseudo du Talmud *.

Abraham Ajar, dont la mère est forcément Simone Signoret ,par son humour, a su me faire monter les larmes aux yeux. Les dernières lignes sont particulièrement touchantes, et comme toujours, l'autrice a fait mouche, visant le coeur de la cible par son talent, sa générosité, son altruisme et son regard sur le monde actuel, en proie aux dérives identitaires. L'humour n'est il pas la meilleure des armes ?

"Et voilà le résultat : il y a des millions de gens qui cherchent dans la Bible, les Évangiles et le Coran une justification à toutes leurs consolidations identitaires, la formule magique de chacun-chez soi, un titre de propriété légitime pour être vraiment eux-mêmes . Ils s'accrochent à leur livre comme à un test ADN, qui les ancrerait quelque part. Un truc qui les fixerait dans l'existence"

Gros, gros coup de coeur que je vous conseille vivement, cet essai est un éclairage nécessaire, une évidence dans ce monde en proie aux obsessions idenditaires .

* Talmud : Dans le judaïsme, le Talmud (la Loi orale) est le recueil principal des commentaires de la Torah (la Loi écrite), dont il est à la fois l'interprétation juridique (la Halaka) et l'interprétation éthique et homilétique (la Aggada). Le Talmud est constitué de deux écrits : la Mishna et la Gemara (source Wikipedia)

© Nath