Les Demeurées - Jeanne BENAMEUR

Les demeurées

Jeanne BENAMEUR

Folio – Juin 2002

Il y a ces livres courts. Ces romans denses . Ces évidences littéraires. De celles dont on se demande comment et pourquoi on a mis tant et tant de temps avant de les découvrir et.de s'en émerveiller. Je suis persuadée, ceci dit, que toute lecture arrive dans un parcours de vie à un moment défini par un sublime « hasard », qu'elle est placée sur notre route parce que l'instant est le bon. « Les Demeurées » de Jeanne Benameur, est de ceux-là.

Avant toute chose je voudrais insister tout particulièrement sur le D majuscule du titre, hommage à ces gens pas tout à fait comme les autres, et pourtant tellement comme eux !

Je ne sais d'ailleurs pas s'il faut parler ici de roman , de nouvelle, de conte. Je suis par contre absolument convaincue (et je l'espère,convaincante!) que l'on peut qualifier ce texte de SUBLIME !

Les Demeurées, ce sont la Varienne et sa fille Luce. La Varienne tout court . Luce tout court. La mère, c'est un peu ce que d'aucuns qualifient d'idiote du village. Une  « abrutie » qui n'a ni les mots, ni les gestes, ni les pensées, ni l'allant de ses semblables (je tiens à ce terme-là), ceux de ce bourg perdu quelque part, on ne sait où .

« Il n'y a rien à l'intérieur de cette bouche le soir. Rien que de choses sans nom qui tentent, hagardes, la pénible venue au souffle . Rien que le silence qui pétrit et le sang et la chair. Elle reste les yeux fixes.

Abrutie »

Elle est aussi la mère de Luce, enfant taiseuse, « abrutie » elle aussi .

« De l'abrutie, elle a le front étroit et l'angle trop large du coude avec l'épaule, un espace entre la main et chaque chose qui ne se comble pas »

Toutes deux vivent en vase clos, à l'écart des villageois qui jugent, méprisent, ignorent. Dans leur « maison de rien »

Le jour où Luce doit aller à l'école, parce qu'il le faut, que c'est obligatoire, la peur se réveille chez l'une comme chez l'autre ; Cette peur sourde, qui tenaille les entrailles , qui pique, qui fait mal. Alliance silencieuse, comme toujours. Alliance tacite.

Alors, même si Mademoiselle Solange, l'institutrice, est persuadée que les mots, le savoir, l'érudition, la culture, peuvent extraire Luce de la condition à laquelle elle semble condamnée, l'enfant fuira. Fuira l'école ; Se fuira. Fuira ce nom écrit un jour sur le tableau noir. Crissement de la craie blanche sur une plaie tue. Elle fuira les regards qui brisent, qui humilient.

Fuira t'elle pour autant le Savoir ?

D'une écriture puissamment poétique, Jeanne Benameur brode comme à l'accoutumée les contours de ces destins hors-normes, balançant ainsi, de sa plume envoûtante, un sacré coup de pied dans la fourmilière ! Et j'adore !

J'ai été littéralement renversée par cette lecture, par le questionnement qu'elle induit. L'autrice, en effet, ouvre grand les bras au lecteur et l'accompagne sur le nécessaire chemin de la Bienveillance, de l'Empathie, de l'Amour, et de la Tolérance.

Une leçon de Vie, une ode à la maternité, au droit à la différence, à la poésie , un chef d'oeuvre, la musique des mots de Jeanne Benameur, et le souffle coloré d'un abécédaire, voilà ce que je retiens de ces « Demeurées » que j'ai envie de serrer fort contre mon cœur.

© Nath

Comments

[Lirelyne]

J'ai un merveilleux souvenir de cette lecture. Un texte fort.

J'aime beaucoup l'écriture de cette auteure.

[krol]

C'est avec ce roman que j'ai découvert Jeanne Benameur il y a bien longtemps. Sublime, tu as raison ! Depuis j'ai presque tout lu de cette auteure et son dernier roman a le souffle de celui-ci.

[eimelle]

Jeanne... j'adore!

Bonne soirée!