Le lundi, c'est poésie / littérature - Gabriela Mistral
L’ÉTRANGÈRE
« Elle parle avec son accent de ses mers barbares,
avec je ne sais quelles algues et je ne sais quels sables ;
elle fait sa prière à un dieu sans corps et sans poids,
vieillie comme si elle allait mourir.
Dans notre jardin, qu’elle nous a rendu étranger,
elle a mis des cactus et des herbes griffues.
Elle nous souffle l’haleine du désert ;
elle a aimé d’une passion qui l’a blanchie,
qu’elle ne nous raconte jamais et si elle nous la racontait,
ce serait comme la carte d’une autre planète.
Elle pourra vivre parmi nous cent ans,
ce sera toujours comme si elle venait d’arriver,
parlant une langue essoufflée et gémissante,
comprise seulement des bestioles.
Et elle va mourir au milieu de nous,
une nuit où elle souffrira trop
avec son seul destin pour oreiller,
d’une mort sans bruit et étrangère. »
Gabriela Mistral, Tala, in Poèmes choisis, Éditions Stock, 1946, page 121. Poésie traduite par Mathilde Pomès.